Réseau des anciens TLTE

Transport, Logistique, Territoires & Environnement

Interview de Xavier Bernier - Auteur et directeur de recherche en mobilité

Nous sommes le mardi 31 janvier 2024 en compagnie de Xavier Bernier, professeur des Universités à la Sorbonne, directeur du master TLTE et du laboratoire Médiations, Xavier bonjour !

Xavier Bernier :

Bonjour et merci pour cet entretien. La trajectoire universitaire m’a en effet conduit à diriger le laboratoire MEDIATIONS de la Sorbonne et le master TLTE (Transports, Logistiques, Territoires et Environnements), le plus ancien de France (depuis 1983 à la Sorbonne, il était auparavant abrité à Paris Nanterre). Ce master s’applique à conserver des formations à la fois dans le champ des transports, des mobilités et de la logistique. Dans un monde où tout s’hybride, cette multi-compétence est un plus évident pour nos étudiantes et nos étudiants.

Xavier Bernier :

Les projets éditoriaux sont parfois anciens et la coïncidence de leurs parutions relève un peu du hasard. Après l’atlas des mobilités et des transports paru chez Autrement en mai 2023, j’ai réalisé une Documentation Photographique (éditions du CNRS) sur les montagnes. Il y est d’ailleurs questions de mobilités, au même titre que dans la 2e réédition de l’atlas des montagnes (éditions Autrement, avec Christophe Gauchon) dont la sortie est prévue à l’été 2024.

Xavier Bernier :

Il y a en fait trois dimensions (infrastructurelles et matérielles, politiques au sens large et socio-économiques à travers les validations par les différents acteurs) reprises dans un graphique en triptyque en introduction. Beaucoup de discours tendent à ne retenir qu’un de ces champs, privilégiant ici des infrastructures qui seraient « structurantes » par leur existence même, des politiques surévaluant leurs portées propres ou des pratiques et usages abordés parfois indépendamment des contextes et des environnements. Or il s’agit bel et bien de systèmes, de relations et d’interrelations.

Xavier Bernier :

Ce que vous appelez la « gestion des flux migratoires » renvoie souvent à des politiques de fermeture. Elles sont nourries par toutes sortes de fantasmes. L’homo sapiens est un homo mobilis et les représentations associées à ces mouvements simplifient souvent des réalités qui sont en fait très complexes et anciennes. Les spécialistes des migrations, géographes, sociologues ou économistes en dressent des tableaux aujourd’hui très précis et souvent incarnés, loin des instrumentalisations simplistes qu’en proposent certains. Il ne faut pas hésiter à s’y reporter plutôt que de se caler sur certains débats des plateaux télés. Vouloir « anticiper » ou « contrôler » des mouvements migratoires sert surtout à construire des récits politiciens. Il faut s’efforcer de regarder les phénomènes migratoires sur des bases factuelles, sans oublier les trajectoires collectives et individuelles, parfois dramatiques, celles d’enfants, de femmes et d’hommes, de familles qui traversent le Monde.

Xavier Bernier :

En termes de mobilités, la vitesse est en effet trop souvent réduite à la mesure simple et chronométrée du parcours d’une personne ou d’un objet dans une étendue. Ne serait-ce que dans un registre technique, il y a pourtant toutes sortes d’autres vitesses, commerciales, d’exploitation, moyenne ou maximale, constante ou de croisière… Les paradoxes ne manquent pas en la matière qui mettent en lumière des débits possiblement plus importants à vitesse limitée en situation de fort trafic ! La lenteur est aussi un argument de promotion, en particulier dans le champ des loisirs mobiles. Un des enjeux forts en termes d’aménagement est celui qui consiste à composer avec les différents régimes de vitesse, soit en les cloisonnant (ce qui a été un des crédos de l’urbanisme et des mobilités au XXe siècle), soit par exemple en partageant l’espace et le temps. Ces choix ont des fondements politiques et sociaux très puissants.

Xavier Bernier :

Depuis le fameux article de Jean-Marc Offner en 1993 sur les « effets structurants » du transport : mythe politique, mystification scientifique, on sait que la « pensée magique » associée aux infrastructures doit être regardée avec distance et circonspection. Pour évoquer les processus territoriaux cumulatifs et autoalimentés, Offner avait développé le terme de congruence. Celui d’infrastructuration s’en veut un écho lointain à petite échelle. Sans validation sociale et politique, une infrastructure peut avoir le destin d’une « gare à betteraves », expression péjorative pour désigner une gare associée à un développement très limité.

Xavier Bernier :

Vous avez raison de souligner le rôle croissant des tarifications dans les transports et leur caractère de plus en plus sophistiqué. Les reports de coûts se font parfois sur les collectivités territoriales et sur les consommateurs. Au-delà, il y a de vrais enjeux politiques et sociaux. Les indices relatifs du prix des transports et des communications ont été divisés par 10 entre 1920 et 2015 nous dit le géographe des transports Jean-Paul Rodrigue. Au point que les tarifs se soient effondrés, en particulier dans les transports de marchandises. Mais n’oublions pas que seulement 11% de la population mondiale a pris l’avions en 2018 et que les prix pratiqués par les compagnies ferroviaires peuvent encore être très dissuasifs pour certaines populations.

Xavier Bernier :

Les mobilités vont être en effet au cœur de défis majeurs pendant les Jeux Olympiques. La décision d’augmenter drastiquement certains titres de transports pendant la période a d’ores et déjà soulevé de nombreuses polémiques. Quantité d’applis existent désormais pour qui veut se déplacer selon telle ou telle stratégie de rapidité ou de découverte. Mais c’est vrai que le panneautage et la signalétique in situ ne doivent pas être négligés. C’est toute une palette de dispositifs, visuels ou sonores, qui sont désormais accessibles, comme autant d’aides au micro-aménagement local.

Plus que jamais et pour paraphraser le philosophe Démocrite, on peut dire que notre Monde n’existe que parce que tout circule.

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